Cette deuxième séance du cycle de l’année 2021-2022 se concentrait sur les comptes comme archives et sur les institutions chargées de les juger, de l’Ancien régime à nos jours.

Dans un premier temps, Olivier Poncet s’intéresse aux chambres des comptes et à leurs archives, en examinant successivement ce que les comptes nous disent de l’archivage des institutions qui en avaient la charge, du contrôle de la comptabilité publique et du rapport des historiens au tri archivistique. Les chambres des comptes ont été créées au Moyen Âge pour effectuer un travail de vérification, d’amendement et de jugement des comptes tenus par les officiers royaux et princiers. Faute de pouvoir juger les comptes dans un temps limité et sans aucune contrainte légale ou réglementaire explicite, les chambres ont commencé à accumulé les comptes et leurs pièces justificatives : elles devinrent de facto les institutions gérant les plus importants volumes d’archives, au-delà de ce que conservaient les parlements. Cette accumulation de comptes a transformé les chambres des comptes en archivistes du pouvoir, tant sur le plan domanial, fiscal que comptable : la rédaction d’inventaires, qui peuplent par exemple la série PP des Archives nationales pour la chambre des comptes de Paris, était inscrite dans leurs obligations. Après un âge d’or à la fin du Moyen Âge et dans la première moitié du XVI^e siècle, les chambres des comptes entrent en concurrence avec les nouvelles institutions que sont les bureaux des finances et surtout le contrôleur général des finances. Les comptes, malgré des difficultés récurrentes de gestion matérielle, deviennent alors pour elles tant un tabou auquel on n’ose pas toucher qu’un élément témoignant de leur ancienneté et de l’excellence de leurs traditions. Ils forment, sous le nom de dépôt du garde des livres, le quatrième ensemble archivistique de la chambre des comptes de Paris, de loin le plus imposant matériellement.

Il faut attendre le XVIII^e siècle pour que commence ce que A. M. de Boislisle a appelé le « déblaiement légal » des comptes, rendu obligatoire par lettres patentes en 1741 puis en 1776. La perte n’est cependant pas totale, Beaumarchais ayant récupéré puis revendu à la Bibliothèque royale ce qui constitue aujourd’hui la première partie du cabinet des titres conservé au département des manuscrits. L’essentiel des registres de comptes archivés depuis le XIV^e s. (plus de 11 000 volumes, des milliers d’autres en province) est détruit durant la Révolution en dépit des efforts de la Commission des savants qui plaidèrent alors pour des tris sélectifs, une disparition programmée qui pesa lourd dans l’imaginaire des archivistes français. Ce n’est finalement qu’au XIX^e siècle que le tri s’imposa véritablement dans les archives de la Cour des comptes créée en 1807 selon les logiques des Lumières et des lettres de 1776 en particulier. Il est dans cette optique d’autant plus étonnant de constater que ce n’est qu’en 1889-1890, échappés de l’incendie du palais d’Orsay où était logé la Cour avant 1871, que des documents d’Ancien Régime oubliés (plus de 3 000 articles, essentiellement registres dits du contrôle général, états des finances par généralités, registres sur les rentes publiques) furent versés aux Archives nationales. L’entrée de cette « relique » aux Archives nationales donnait peut-être aussi le sentiment, après la Commune, de refermer la parenthèse de la Révolution et provoqua en tout cas le changement de nom de la série P, désormais intitulée « Chambre des comptes et comptabilité ».

Dans un second temps, Anastasia Iline évoque la situation de la Cour des comptes, depuis sa création en 1807. Les comptes ont longtemps constitué le cœur battant de l’institution, que ce soit au niveau de sa représentation (iconographie), de son vocabulaire (importance de la liasse et de son épluchage dans la formation des magistrats) comme de son architecture (rôle central joué par la tour des archives dans les locaux inaugurés rue Cambon en 1907). Cependant, les comptes ont vu leur place symbolique décliner, progressivement remplacés à partir du début du XX^e siècle par les rapports publics annuels comme métonymie de l’institution. Cette tendance est particulièrement affirmée depuis le début des années 1980. La décentralisation a marqué une première étape avec le transfert à des chambres régionales du jugement des comptes des collectivités locales et de leurs établissements publics, ce qui a commencé à vider la tour des archives ; la progression du format numérique a prolongé le mouvement. La réforme de la responsabilité des gestionnaires publics, en cours de finalisation, transformera prochainement la Cour de juge des comptes à juge des gestionnaires publics (comptables et ordonnateurs). Les comptables ne seront plus tenus de déposer systématiquement leurs comptes, désormais numériques, qui resteront néanmoins quérables. La Cour se perçoit actuellement moins comme un juge des comptes tenus par les comptables que comme l’institution chargée, au nom des citoyens, de demander des comptes aux ordonnateurs. Il n’est donc pas étonnant que, depuis 2000, son journal interne, d’abord physique puis numérique, ait pris le titre d’Article 15.

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