Benoît Vaillot, chercheur à l’Université de Strasbourg (arche ur 3400) et au Centre Marc Bloch (Berlin), illustre le sujet des usages des cartes dans les discussions diplomatiques au travers de l’exemple des négociations ayant mis fin à la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Cette communication fait écho à la thèse qu’il a soutenue en 2011 – Aux portes de la nation. Une histoire par en bas de la frontière franco-allemande (1871-1914) – , à paraître chez CNRS éditions à la rentrée universitaire prochaine.

Le début de cette histoire cartographique commence avec une carte du gouvernement général d’Alsace publiée par l’état-major prussien dès le mois de septembre 1870, avant même que toute l’Alsace ne soit occupée par les forces allemandes. Pour la première fois, cette carte, conservée aujourd’hui aux Archives diplomatiques à La Courneuve, présente les revendications territoriales allemandes en France. La frontière qui y est dessinée sous la forme d’un trait vert s’appuie sur le découpage administratif français hérité de la Révolution française, mais aussi sur les travaux es travaux du géographe Heinrich Kiepert et du statisticien Richard Böckh. Cette frontière ne naît cependant pas d’un traité, mais de la guerre elle-même. La carte a pour objectif d’apaiser les chancelleries étrangères qui ne peuvent être que rassurées par des revendications mesurées du vainqueur de la France.

La carte se retrouve ensuite au cœur des négociations d’armistice, notamment des discussions autour du sort à réserver à Belfort et à ses environs. La carte est explicitement citée dans les préliminaires de paix signés le 26 février 1871, mais avec des mentions ultérieures de la main de Bismarck pour préciser le sort de Belfort et de ses environs, sans décision précise. Cependant, la carte contredit le texte des préliminaires. La cartographie des territoires cédés par la France à l’Empire allemand se révèle floue.

La période qui suit, jusqu’à la signature du traité de paix à Francfort le 10 mai, s’accompagne également d’une intense production cartographique relative aux territoires contestés, notamment du côté allemand, alors que les négociateurs français se trouvent de leur côté fort dépourvus : ils ne disposent que d’un matériau cartographique médiocre, reflet du retard technique pris en la matière au cours du Second Empire. Paradoxalement, aucune carte nouvelle n’est annexée au traité de Francfort. Tout doit être réglé sur le terrain par une commission de délimitation, à l’instar de ce qui se pratiquait depuis le Moyen Âge et à l’époque moderne (cf. travaux de Daniel Nordman).

Le vrai travail de délimitation précise commence donc après le traité, lors de la phase de démarcation, et se prolonge jusqu’en 1877. Il se fonde sur des cartes, notamment celles du cadastre napoléonien, qui se révèle pourtant ancien (plus de cinquante ans) et ne reflète donc plus nécessairement les limites communales de l’époque. Le travail de démarcation combine étude du terrain et enquêtes menées auprès de populations qui ne sont pas favorables à l’établissement de la frontière et qui, comme en situation coloniale, déplacent les limites matérialisées (piquets, bornes, etc.). Les géomètres effectuent des levés de la frontière qu’ils traduisent sous la forme d’une carte certifiée. Là aussi, les cartes sont plus nombreuses côté allemand, ce qui peut s’expliquer par le besoin pour cette partie de mieux connaître le nouveau territoire annexé. Des tableaux et des listes, avec des registres tabulaires – eux-mêmes certifiés –, accompagnent ces cartes, jamais seules. Les désaccords, nombreux sur certains tronçons qui créent des quasi enclaves ou qui sont âprement disputés pour des questions liées au contrôle des ressources énergétiques (bois) ou de matériaux stratégiques (mines de fer), ou enfin d’infrastructures (chemins de fer) sont accompagnés de la production de cartes (Avricourt, Raon-sur-Plaine et Raon-lès-Leau). Sans attendre la résolution de tous les conflits et l’achèvement des opérations de délimitation, les autorités allemandes rassemblent dès 1872 les fruits de leur travail cartographique pour fournir une esquisse, un dessin du tracé de la frontière de 1871, dont la carte de 1870 demeure une préfiguration assez proche. Nombreuses sont encore ces cartes produites alors, conservées pour l’essentiel dans les archives départementales correspondant aux territoires concernés, et qui ont encore valeur légale aujourd’hui.

Nota : sur le sujet des usages diplomatiques et des frontières, signalons le numéro 228 de la revue Cartes et géomatique, parue en 2016 et, disponible à l’adresse suivante : Cartes et géomatique 228 (2016) (lecfc.fr).

Pour en savoir plus : Benoit Vaillot, « Lorsque la carte crée le territoire : l’invention de l’Alsace-Lorraine », Mappemonde [En ligne], 132 | 2021, http://journals.openedition.org/mappemonde/6440

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